Ce texte est extrait du n°21 du "Trait d'Union" de 2003.


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Qui à Saugnac n’a pas emprunté le carrefour Joseph CORAN ? Mais qui est Joseph CORAN ? Pouquoi avoir donné le nom d’un écarteur landais à un carrefour ? Qu'a-t-il fait de si important, si ce n'est que «finter », les vaches, diront certains. Inaugurée en 2000 par Gérard DUCLAU, Maire, et son équipe municipale de l'époque, la statue de Joseph CORAN n'est pas seulement un hommage à l'écarteur landais qu'il fut et dont les exploits en son temps traversèrent les frontières, mais l'homme au grand coeur qui restera présent dans notre souvenir.
Joseph CORAN a bénéficié, il faut bien le dire, d'un engouement extraordinaire car à l'époque 1905-1950, les moyens de circulation étaient très restreints. On ne se déplaçait que rarement au-delà de son chef-lieu de canton et ce, à pied, à cheval, plus rarement en voiture. Star-Académy n'existait pas à la télé et les sports ne drainaient pas encore les foules ! Les arènes de l'époque étaient pleines à chaque fois.
En 2003, la Fédération Française de la Course Landaise fête ses 50 ans d'existence. Créée en 1953 par Jacques MILLIES-LACROIX, elle a rassemblé dans les arènes de Dax en octobre plus de 400 écarteurs, anciens et nouveaux, qui ont tous eu une pensée pour ces précurseurs de notre noble art.
Joseph CORAN, dès le début du siècle, a contribué à faire connaître ce sport pour certains, cet art pour d'autres.

Nous ne retracerons pas dans ces lignes toute la carrière de Joseph CORAN mais quelques-uns de ses hauts faits.

Né le 26 février 1891 à Villenave-d'Ornon en Gironde, ses parents étant à l'époque employés à la Compagnie du Midi, sa jeunesse se passa dans des déplacements, mais en 1903, nous le trouvons à Bascons avec ses parents gardes-barrière.
Pour le récompenser de son succès au certificat d'études, son père l'emmène aux arènes du village pour une novillada. C'était sa première course en spectateur, c'est là que sa vocation de torero naquit mais n'est-il pas naît vraiment torero ? Il poursuit ensuite ses études à Mont-De-Marsan au cours supérieur prenant des leçons complémentaires le soir, et entre deux cours, il écarte des toros dès 1906.
Apprenti commis calicot, plus tard cuisinier, pâtissier et même employé de bureau, c'est en 1909 son véritable départ dans la course landaise à Castets. Il écartera un nombre incalculable de vaches et toros sans corde et sans tampon (pour les non-initiés peu nombreux à Saugnac, les tampons sont les protections au bout des cornes très à la mode aujourd'hui). Il fut mobilisé dans les années 1916 et interrompit sa carrière pendant les deux dernières années de la guerre. Pendant de longues années, ses exploits se dérouleront dans les Landes, le Gers, les Pyrénées, l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, l'Espagne, il se produit même devant le roi Alphonse XIII.

CORAN était au fait de l'actualité dans toutes les bouches et conversations. De 1920 à 1934, il est ganadero (éleveur de vaches) mais écarte toujours. L'argent gagné régulièrement est reversé au bureau de bienveillance des localités où il se produit. Il reverse également ses primes à des familles dans le besoin et dont le père ou le mari est resté au front pendant la guerre. En civil ou en bolero, il écarte les vaches les plus dures, des toros de quatre ans. En 1935, un coup de corne énorme le blesse sérieusement à la cuisse gauche à Capbreton. Lors de sa convalescence de deux jours, se promenant, soutenu par des amis, il plonge tout habillé à la plage du Bourret et sauve une jeune fille de 17 ans qui se noyait.
Comme tout landais qui se respecte, CORAN joue au rugby successivement à Bagnères, à Bayonne et à Dax. Course à pied, course cycliste, il participe à tout en tant que compétiteur et plus tard également bouliste, ce fut un sportif complet.

Le 5 mai 1929, il est élu Conseiller Municipal à Saugnac et Cambran. Il a toujours affirmé que cette fonction lui a permis de bénéficier d'un port d'arme ! Les réunions municipales de l'époque devaient être houleuses, C'est vrai qu'à Saugnac, il y avait sept auberges...

Pendant l'occupation, il fut représentant à la maison Mourroux de Dax et ne se déplaçait qu'en vélo. Plus tard, on le retrouve patron d'un coquet restaurant au quartier Cambran route de Sort. Il possédera également un troupeau de vaches de course au lieu-dit La Camargue dans le même quartier. Mettant à profit ses grandes connaissances et son sens de l'observation, il fut directeur de l'école taurine, décoré par le Ministère de l'Education Nationale et devint le premier écarteur landais à être médaillé. On le voyait souvent à Saugnac pour aller chez le barbier, très superstitieux, le figaro local devait faire preuve d'une dextérité extrême, une seule goutte de sang sur son visage et Joseph n'écartait pas. Sa femme un jour tomba malade et inquiéta tout son entourage, Joseph alla prier Saint-Joseph à l'église de Saugnac, dit-il, et offrirait en cas de guérison un magnifique carillon à la paroisse. Quelques mois plus tard, sa femme lui donna un enfant et le carillon orna l'église. Le jour de leur première rencontre, Joseph encore habillé du pantalon blanc d'écarteur, répondit à sa femme qui lui demandait quel était son métier «peintre en bâtiment Madame».

Très souvent, il allait à Pau jouer au Casino, prenait donc un taxi, et avait du mal à régler la note au retour. Il organisait pour les enfants du village l'arbre de Noël gâtant les plus défavorisés, faisant un geste pour les plus démunis, allant même à ouvrir un compte épargne à ceux qui réussissaient leur certificat d'études. C'était un homme truculent, beau parleur, gestuel, évidemment beau garçon. Il aimait la vie, la fête, il y eut dans son auberge de Cambran de grandes soirées avec ses amis, ils buvaient et chantaient retraçant sa carrière. Un soir, il avait invité plusieurs voisins et amis pour une «tire» de bois ou de soutrage, il leur fit un civet de lapin et venta ses mérites de grand cuisinier. Prétextant une ancienne blessure, il se retira du repas et on entendit un grand éclat de rires retentir dans la maison de Chanteclair.
Quelques jours plus tard, on apprit qu'une dizaine de chats avaient disparu dans le quartier. Pendant toute sa vie, il a dominé les autres par son cachet, son allure en piste, par le chic de ses présentations et l'art incomparable qu'il possédait. Tout était chez lui étudié car il était intelligent et d'une culture supérieure à celle des autres.
Il participa à son dernier paséo le 29 mars 1958 à Parentis (voir l'article paru la veille dans le Sud-Ouest ci-dessous) et le 25 mai 1958, il écarta pour la dernière fois à Onesse-Laharie, à l'âge de 67 ans.
Il prit sa retraite avec sa dame à Dax dans la rue Cazade où il habitait.
Le 15 juillet 1958, malade, usé et ruiné, il s'éteignit à l'hôpital de Dax, sa dépouille est enterrée au cimetière Saint-Pierre. (Vous trouverez ci-dessous le lien pour consulter l'article paru dans le quotidien Sud-Ouest le 19 juillet de cette même année à l'occasion de ses obsèques.)

Lorsque vous emprunterez dorénavant le carrefour CORAN, l'Homme levant les bras au ciel n'est pas seulement un écarteur landais attendant la rencontre de la vache avec l'homme, mais peut-être, est-il en train d'implorer le ciel pour qu'il y est plus de bonté, de charité, de tolérance dans notre monde.
Lui, Joseph KORAN (KORAN avec un K est son nom d'écarteur), a su montrer l'exemple.

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